Cher Monsieur Chouard,
Je suis depuis quelques temps votre très intéressant projet de "constitution citoyenne". J'ai parcouru le blog que vous y consacrez, et lu l'interview que vous avez accordée au blog CQFD. A ce stade, il me paraît intéressant de vous faire part de mon ressenti, convaincu que je suis qu'une contradiction courtoise et argumentée est toujours au bénéfice d'un porteur de projet motivé et intelligent.
Voilà ce qui me perturbe (car, vous l'aviez deviné, je suis perturbé) :
votre propos, si je l'ai bien compris, est entre autre de moraliser la vie politique, en en éloignant les "affreux" (avides de pouvoir, profiteurs, etc.). Et pour ce faire j'ai noté que vous envisagez de multiplier les niveaux de contrôle de l'activité des élus (qu'ils le soient par tirage au sort, ou pas) : ils doivent "rendre des comptes à la fin de leur mandat", sont en permanence sous "contrôle citoyen" et "révocables" à tout moment. En outre, les citoyens ont la possibilité de les court-circuiter via des "référendum décisionnels".
Foutre ! Ce n'est plus un parlement, c'est une maison de correction ! Pas la moindre place pour la notion de "confiance" dans ce dispositif : le parlementaire y est traité, semble-t-il, comme un criminel dont il convient de neutraliser à chaque seconde les mauvaises pulsions. Mais comme il est parfaitement représentatif du "citoyen ordinaire" (puisque, par exemple, tiré au sort)... quelle idée devons-nous avoir du peuple dont il est issu ? Pas reluisante. Mais ce peuple, ces citoyens... ne contrôlent-ils pas le Parlement, au fait ?
Tout cela est sinistre. Je ne crois pas qu'il soit raisonnable d'envisager une quelconque forme de gouvernement respectable sans la CONFIANCE des citoyens en ceux qui y siègent.
Il faut pouvoir croire que nos élus sont vertueux. Il faut pouvoir croire que la pire punition qu'ils puissent recevoir en cas d'erreur ou de faute - est le seul fait d'avoir commis cette erreur ou cette faute - et qu'il n'est pas besoin d'en concevoir d'autre.
Ce qui est décrit dans cette constitution citoyenne, est tout le contraire du fondement d'une société morale et responsable : c'est le présupposé de l'indignité de chacun.
C'est une utopie désespérante. Utopie, parce qu'elle rêve un monde régi par la libre confrontation permanente des idées de tous, à tous propos - comme les économistes néo-classiques ont rêvé la "concurrence pure et parfaite" pour régir les marchés ; désespérante, parce qu'elle traite comme des bandits ceux qui auraient pour tâche de la concrétiser, et, par là même, l'ensemble des citoyens, dont ils seraient issus.
Quitte à rêver, je préfère imaginer une société dont les élus seraient si excellents et si vertueux, qu'aucun contrôle que l'on leur imposerait ne serait plus impitoyable que celui qu'ils s'imposeraient à eux même - et aucune punition, plus douloureuse que la conscience de leur échec, ou de leur faute.
C'est une pure utopie aussi, mais au moins elle est bandante.
(Qui contrôlerait les citoyens qui contrôleraient les parlementaires ?...)
Tout ceci se résume en une question, donc : quid de la CONFIANCE ?
Voilà cher Monsieur Chouard, mes réflexions : je vous les livre comme ma modeste contribution au passionnant débat que vous avez entrepris d'animer, avec l'espoir qu'elles intéresseront.
Au plaisir de vous lire...
Robert Willard
le 28/01/12